Origine de cette bibliographie

Préface de la Bibliographie de la presse française politique et d’information générale, par Jean Prinet (1964)

En avril 1866 dans la préface de sa grande Bibliographie historique et critique de la presse périodique française , Eugène Hatin, citant le bibliophile Paul Lacroix , écrivait :

« ... En France... on ne conserve pas les journaux, qui sont pourtant les meilleurs instruments de l'histoire d'une époque, à quelque point de vue qu'on la veuille étudier. La France, qui a produit tant de journaux en tous genres, et de si remarquables, ne leur ouvre pas même le refuge de ses bibliothèques publiques ! Ces pauvres journaux s'en vont tristement au néant, à l'oubli, et plus tard, demain peut-être, on les payera au poids de l'or... Ce sont les oracles de la Sibylle écrits sur des feuilles de chêne. N'est-il pas étonnant que notre dix-neuvième siècle laisse s'anéantir chez la beurrière et chez l'épicier les pièces les plus précieuses, les plus authentiques de l'esprit national ? — Une bibliothèque de journaux est à créer... Quand donc songera-t-on à créer un dépôt des archives de la presse ? » ¹

et Eugène Hatin ajoutait : « S'imagine-t-on l'importance, l'intérêt de ces archives de la presse, de ce musée historique, où tous les recueils périodiques — au moins les plus importants — seraient classés année par année, — ... et où l'on pourrait instantanément interroger tous les divers organes de l'opinion sur tel événement donné, qui permettrait de suivre pas à pas, jour par jour, presque heure par heure, et en quelque sorte jusque dans ses moindres pulsations, la vie politique, morale, littéraire, et même industrielle, de la grande famille française ? Malheureusement, nous n'en sommes pas encore là ; cependant, depuis quelques années il a été fait dans cette voie, à notre Bibliothèque impériale, des efforts auxquels on doit applaudir... » ²

Ces efforts ont été poursuivis régulièrement depuis cent ans et, devant l'intérêt croissant manifesté par ses lecteurs habituels, en particulier par les historiens, à l'égard des journaux, la Bibliothèque nationale a été amenée à consacrer de plus en plus de soins à l'acquisition, au traitement et à la conservation de ces séries trop longtemps négligées. Des catalogues ont été préparés et mis à la disposition des lecteurs, la communication qui, lorsqu'il s'agit de journaux, pose toujours de difficiles problèmes matériels, a été facilitée dans toute la mesure compatible avec la conservation de collections particulièrement fragiles ; une étape capitale a été franchie en 1936, lorsque fut ouverte l'annexe de Versailles, spécialement destinée à recevoir les journaux : désormais, ceux-ci cessaient de faire figure de parents pauvres, mal habillés et fort encombrants, que l'on reléguait volontiers dans un coin non pas obscur — ce qui en l'espèce eût été excellent —, mais trop ensoleillé, des magasins des Imprimés ; ils étaient maintenant chez eux, dans des bâtiments construits pour eux, tenant compte des conditions particulières nécessaires à leur survie.

Le Département des Périodiques , créé en 1945, fut avant tout, dans les premières années de son existence, le Département des journaux, jusqu'à ce que lui soit confiée à partir de 1960, la totalité des publications périodiques. Il continue à considérer comme l'une de ses tâches essentielles la sauvegarde de ce qui peut encore être sauvé dans les collections anciennes de journaux, par une restauration intensive bien que prudente et la reproduction systématique de toutes les collections déjà trop détériorées pour pouvoir être communiquées.

Malheureusement, le journal est par définition même un éphémère, que personne ou presque ne conserve. Le mauvais fonctionnement du dépôt légal à certaines époques, l'autodestruction irrémédiable du papier particulièrement misérable utilisé pendant les guerres et les périodes de disette, sont à l'origine, dans nos collections de journaux, de lacunes qu'on ne peut guère espérer combler par des originaux. Mais d'autres collections en France peuvent venir au secours de la collection nationale, qui reste malgré toutes les difficultés, d'une richesse sans analogue : dans les dépôts d'archives départementaux et municipaux, dans les bibliothèques des villes, sont conservées les collections des journaux régionaux et locaux, dans des conditions souvent excellentes et ces fonds, régulièrement alimentés par les dépôts administratifs ou le dépôt légal, ou par les dons des éditeurs, recèlent dans bien des cas des titres ou des séries qui manquent à Paris. À l'inverse, beaucoup de titres qui sont à Paris manquent dans ces dépôts régionaux, dont les catalogues sont d'ailleurs rarement publiés, en sorte que pour acquérir une vue d'ensemble des richesses encore conservées au service de l'histoire, l'établissement d'un répertoire collectif s'imposait, qui pût mettre à la disposition du chercheur la totalité des éléments disponibles. Pour la période qui va des origines à 1865, le travail a été fait en grande partie par Hatin dans sa Bibliographie historique et critique de la presse périodique française ; certes, il n'a pu connaître toutes les collections existantes, en particulier celles des journaux de province, mais l'essentiel est dans les quelque sept cents pages de sa Bibliographie, travail très personnel, dont les notices s'enrichissent de précisions « historiques et critiques » souvent savoureuses. Pour les journaux publiés après 1865, aucun relevé d'ensemble n'a été tenté, et les chercheurs ne disposent jusqu'ici que des catalogues sur fiches de la Bibliothèque nationale et de quelques inventaires d'archives.

Dès la création du Département des Périodiques, le premier conservateur en chef de ce département, M. Pierre Josserand , se préoccupa des moyens de remédier à cette situation, et sous son impulsion l'un de ses collaborateurs, M. Raoul Monnot, commença de réunir les premiers éléments de ce qu'on appela dès lors, tout en sachant bien quels correctifs et quelles nuances il faudrait apporter à cette expression, le « Supplément du Hatin ». Il était nécessaire en effet, de fixer les limites de l'ouvrage de façon plus sévère que ne l'avait fait Hatin, pour ne pas être écrasé par la masse même des matériaux ; et, d'autre part, comme il ne pouvait s'agir que d'un travail objectif, au service des chercheurs, et non plus d'une œuvre personnelle, il apparaissait inévitable de renoncer aux notes critiques et aux tableautins pittoresques qui donnent tant d'agrément à beaucoup de notices de Hatin.

M. Monnot, à qui restera le mérite d'avoir entrepris seul cet immense travail, de façon totalement désintéressée et en parfaite connaissance de cause, ne put hélas publier que le catalogue d'un seul département, l'Ain , avant sa mort, survenue en octobre 1958.

Le projet fut alors repris sur des bases nouvelles, comme une entreprise collective à laquelle sont appelés à participer, outre quelques collaborateurs de la Bibliothèque nationale, des archivistes et des bibliothécaires des départements.

La publication sous une forme définitive, commencée en 1963, est conçue par fascicules, consacrés chacun à un département, qui sortiront de presses dans un ordre arbitraire, déterminé par les possibilités de la rédaction. Ces fascicules sont présentés de telle façon qu'en fin de travail ils pourront être reliés en quatre ou cinq volumes, auxquels s'ajoutera alors une table alphabétique générale des titres.

Il s'agit donc d'une très vaste entreprise, qui devra se poursuivre pendant de nombreuses années ; encore ne constitue-t-elle qu'une étape, puisque le plan actuel s'arrête en 1944 et devra être prolongé plus tard jusqu'en 1960 ; à cette date le relais est pris en effet par le Répertoire de la presse et des publications périodiques françaises , d'acception beaucoup plus large puisqu'il s'étend à toutes les catégories de périodiques et qu'il assure désormais, dans ses volumes paraissant tous les trois ans, un recensement permanent de cette catégorie de publications.

Il faudra bien un jour aussi reprendre le problème à la base et faire, selon les mêmes normes, un tableau d'ensemble de la presse française avant 1865, tableau pour lequel Hatin fournira évidemment des matériaux, mais qui devra être complété par de nombreux titres non relevés par lui, soit qu'il n'y eût point accès, soit qu'il les estimât hors de son propos.

Les pages qui suivent donnent quelques indications pratiques sur les détails de conception et de présentation de l'ouvrage. M. Jean Watelet , bibliothécaire au Département des Périodiques, a été chargé de coordonner les indications fournies par les nombreux rédacteurs et d'assurer la vérification des collections de la Bibliothèque nationale : on trouvera donc souvent son nom en tête des fascicules, après ceux des archivistes, des bibliothécaires, des professeurs des départements qui ont bien voulu nous prêter leur concours, traduisant ainsi une fois de plus dans les faits la collaboration intime et indispensable de tous ceux qui, chargés de la sauvegarde du patrimoine intellectuel accumulé au cours des siècles dans toutes les régions de la France, ont à cœur de rendre aussi aisé que possible aux chercheurs l'accès des collections dont ils sont responsables.

Jean Prinet , Conservateur en chef
Paris, Bibliothèque nationale, 1964

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¹ Également cité par Eugène Hatin dans Les gazettes de Hollande et la presse clandestine aux XVII^e et XVIII^e siècles , Paris, René Pincebourde, 1865, p. 14 ; et dans le Grand dictionnaire universel du XIX^e siècle, tome treizième, 1875, à l'article « Presse »

² Eugène Hatin, Bibliographie historique et critique de la presse périodique française , Paris, Firmin-Didot, 1866, p. VII-VIII.

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Voir aussi : Les conservateurs et directeurs du département des Périodiques [de la Bibliothèque nationale] de 1945 à 1998 , par Else Delaunay (2009).