La presse de Mayotte : pour un aperçu historique

Mayotte (adjectif mahorais), dans l'Océan indien, est un ensemble d'îles d'une superficie totale de 376 km² et dont l'île principale se nomme Grande-Terre (363 km²), dans une mer appelée Canal du Mozambique , qu'on peut considérer comme faisant partie de l'Afrique de l'Est . Le continent africain, par son port le plus proche, Pemba au Mozambique , est à 500 km à l'ouest de Mayotte. Au sein de l'archipel des Comores , Mayotte est voisine de trois autres îles : à 70 km d'Anjouan (superficie 424 km²), à 135 km de Mohéli (superficie 290 km²), et à 200 km de la Grande Comore (superficie 1148 km²). La plus grande terre des environs, en navigant jusqu'au port de Majunga à 340 km au sud de Mayotte, c'est Madagascar (587 000 km², soit plus que la France métropolitaine ).

La population de Mayotte est musulmane depuis le X^e siècle, et spécifiquement sunnite chaféite depuis la création du sultanat de Mayotte à la fin du XV^e siècle. La première mosquée (toujours en activité) est édifiée dans la capitale Tsingoni en l'an 944 de l'hégire (1538) par un des premiers sultans de Mayotte , Haïssa ben Mohamed, originaire du Golfe persique . À Mayotte et dans les autres îles Comores la résidence est matrilocale , la transmission est matrilinéaire , et la femme (grand-mère, mère, tante...) est influente en politique locale. Cet héritage de la culture bantoue représente une importante protection des femmes , et singularise la société mahoraise par rapport à d’autres sociétés musulmanes. Les langues de Mayotte, uniquement orales, sont le shimaoré (écouter ), dialecte comorien de la famille du bantou , ainsi qu'un dialecte malgache (seul cas en dehors de Madagascar) appelé kibushi ou sakalava (vidéo ).

Au XVIII^e siècle dans l'archipel des Comores, l'économie repose en grande partie sur le trafic d'esclaves , non pas pour la traite atlantique mais pour la traite orientale . Les marchands d'esclaves ont intérêt à entretenir les conflits, car les guerres font des captifs qui leur sont ensuite vendus. De nombreuses guerres opposent le sultanat d'Anjouan à celui de Mayotte à partir des années 1740. Le sultan de Mayotte Salim II se réfugie en 1791 sur l'îlot rocheux de Dzaoudzi et y bâtit une forteresse. De 1795 à 1820, des razzias de pirates malgaches (Sakalaves et Betsimisarakas ) dépeuplent Anjouan et Mayotte, et provoquent une grave crise économique et politique marquée par de nombreux assassinats de sultans. Andriantsoly , roi détrôné du royaume malgache d'Iboina , est accueilli à Mayotte en 1832 et réussit en quelques années à en devenir sultan.

En 1763 la France perd l'Inde , où elle ne conserve que cinq comptoirs . Dans l'Océan indien, elle détient l'archipel des Seychelles au nord de Madagascar, et trois îles à l'est de Madagascar : à 30 km, l'Île Sainte-Marie (222 km²) depuis 1750 ; à 700 km, l'Île Bourbon (La Réunion, 2512 km²) depuis 1638 ; à 900 km, l'Île de France (Île Maurice , 1865 km²) depuis 1715. C'est à Port-Louis, capitale de l'Île de France (Maurice), que le Parisien Pierre-Nicolas Lambert publie en français le premier journal d'Afrique et de l'hémisphère Sud , en 1773 : Annonces, affiches et avis divers pour les colonies des Isles de France et de Bourbon . Mais cette île est conquise par les Britanniques en 1810 , et passe définitivement de la France au Royaume-Uni à la chute de Napoléon (traité de Paris du 30 mai 1814 ). Le nouveau gouverneur de l'Île Maurice, l'Écossais Farquhar , étend son influence sur Madagascar. À partir du 14 juin 1830 , la France « a bien assez d'une Algérie à conquérir et à coloniser », et renonce à ses projets de colonisation de la grande île de Madagascar. Les saint-simoniens rêvent de percer l'isthme du Golfe de Suez pour accéder à l'Océan indien par la Méditerranée, mais le pacha d'Égypte n'accorde pas sa confiance à l'excentrique Père Enfantin qui lui présente son projet de canal en 1833 . Pour aller en Inde et Extrême-Orient en contournant l'Afrique par Le Cap , la France a besoin de « stations maritimes sûres et fortes, qui ne [lui] créent pas inévitablement des intérêts agressifs et illimités, mais où [son commerce] puisse chercher un refuge et se ravitailler » , en particulier à l'ouest de Madagascar.

En 1839 le gouverneur de Bourbon Chrétien de Hell envoie le capitaine Pierre Passot s'emparer de l'île malgache de Nosy Be (321 km²), où il fonde en 1840 Hell-Ville . Menacé par le sultan d'Anjouan dont il refuse d'être le vassal, le sultan de Mayotte se tourne vers les Français. De Hell fait négocier par Passot, décoré de la Légion d'honneur le 11 avril 1841, l'achat de Mayotte au sultan Andriantsoly le 25 avril 1841, par un acte rédigé en français et en arabe : « toutes les propriétés sont inviolables », mais « les terres non reconnues propriétés particulières appartiennent de droit au gouvernement français qui seul pourra en disposer ». Guizot finalise le projet en 1843 : le 10 février Louis-Philippe ratifie l'achat, en juin Passot prend possession de Mayotte pour le gouverneur de Bourbon, puis le 29 août 1843 Guizot nomme commandant supérieur de Nosy Be et dépendances [Mayotte] le naturaliste Sander Rang , protestant comme lui, survivant du naufrage de La Méduse . La Marine explore toutes les baies de Mayotte, une carte est imprimée en 1845, et l'ordonnance de 1840 sur le gouvernement du Sénégal est rendue applicable à Nosy Be et Mayotte à partir de 1846 .

L’abolition de l’esclavage est promulguée à Mayotte le 1^er juillet 1847 et implique que l'administration française rachète à leurs propriétaires les 2 733 esclaves recensés . C'est un demi-échec, car les esclaves préfèrent majoritairement suivre leur propriétaire quittant Mayotte pour une autre île, plutôt que d'être engagé à Mayotte pour cinq ans sous le contrôle des autorités françaises. Souhaitant développer la culture de la canne à sucre, les usines sucrières et les distilleries de rhum , l'administration française organise en 1855 le recrutement d'« engagés » (travailleurs libres) venus des autres îles comoriennes. Elle divise Mayotte en quatre quartiers en 1866 (revus en 1873 ) : 1^er quartier et chef-lieu Dzaoudzi, îlot à l'est ; 2^eM'Sapéré (Mamoutzou), à l'est en face de Dzaoudzi ; 3^eCombani (Chingony), à l'ouest ; 4^eMiréréni (Malamany), au sud. À Paris le ministère de la Marine et des Colonies compile les règlements en vigueur dans un Annuaire de Mayotte et dépendances, qui semble être le plus ancien périodique relatif à Mayotte (1874 ?).

À partir de 1881 l'administration française de Mayotte fait imprimer chaque année, à La Réunion puis à Nosy Be, le Budget et le Compte définitif de ses recettes et dépenses, ne contenant que des tableaux comptables et des textes réglementaires, sans aucun commentaire, à l'usage des fonctionnaires coloniaux. Très peu d'habitants pourraient les lire, ne connaissant ni le français ni même les caractères latins, car l'alphabétisation à Mayotte se fait traditionnellement en arabe, à la medersa, appelée localement shioni : écoles coraniques primaires enseignant le Coran, et écoles coraniques supérieures enseignant la langue arabe (écriture et grammaire). L'enseignement de type européen en français débute à Dzaoudzi en 1847 pour l'école catholique et en 1864 pour l'école laïque, mais il déplaît aux habitants : en 1898 seuls 54 enfants le suivent (pour 12 000 habitants), alors que les écoles musulmanes pour les filles et pour les garçons sont nombreuses et très fréquentées : près de 100 à Mayotte en 1907. Le suffrage « universel » est réservé aux colons, il est en vigueur à Mayotte et Nosy Be depuis le décret du 19 octobre 1883 pour l'élection du délégué de ces îles au Conseil supérieur des colonies . Le décret du 23 décembre 1887 instaure à Mayotte des municipalités.

Présente à Anjouan depuis 1848, la Grande-Bretagne tente en 1882 d'y obtenir l'abolition de l'esclavage ; le sultan d'Anjouan sollicite alors l'intervention de la France. En 1883 le ministre de l'Agriculture (et député des Vosges) Jules Méline envoie aux Comores le naturaliste Léon Humblot (originaire de Nancy), qui en 1889 se fait nommer Résident de la Grande Comore et surnommer « le sultan blanc ». Humblot met en place un système d'exploitation coloniale à son seul profit , qui progressivement se ramifie dans toutes les îles de l'archipel. Des traités de protectorat sont signés en 1886 entre la France et les sultans des îles d'Anjouan, de Mohéli et de la Grande Comore, l'ensemble des Comores étant désigné « Colonie de Mayotte et dépendances », colonie indépendante relevant directement du ministre , et non plus du gouverneur de La Réunion. Après avoir été administrée depuis La Réunion de 1896 à 1899, Mayotte obtient le 9 septembre 1899 la confirmation de l'autorité de son gouverneur sur toutes les Comores.

Le Royaume de Madagascar , d'abord allié des Britanniques, devient en 1882 un protectorat français , reconnu par la Grande-Bretagne et l'Allemagne en 1890 en échange de la reconnaissance par la France de l'Afrique orientale allemande et du protectorat britannique sur Zanzibar . En 1897 Madagascar devient une colonie française . L'ambitieux socialiste Victor Augagneur démissionne en 1905 de son mandat de député-maire de Lyon pour devenir gouverneur de Madagascar, colonie qu'il rêve d'agrandir en lui rattachant La Réunion et Mayotte. Les Réunionnais manifestent contre ce projet au Jardin colonial le 15 septembre 1907. Augagneur n'obtient que le rattachement à Madagascar de Mayotte et ses dépendances (c'est-à-dire les trois autres îles comoriennes), par décret le 9 avril 1908 . Redevenu député de Lyon en 1910, il fait confirmer cette annexion par la loi du 25 juillet 1912 . Un cyclone en 1898 ayant détruit les plantations de canne à sucre, l'industriel des parfums grassois Georges Chiris , fils du sénateur des Alpes-Maritimes Léon Chiris , fonde en 1907 avec les colons d'Anjouan Georges Bouin et Alfred Regoin la Société coloniale Bambao (SCB) pour cultiver et distiller aux Comores des plantes à parfums (ylang-ylang , vanille , lemongrass ...). En 1938 la SCB rachète la société de Humblot.

En dehors des bilans annuels de l'administration coloniale, il ne semble exister comme périodique consacré à Mayotte que le bulletin annuel de la Mission des Capucins [dans la] Préfecture apostolique de Mayotte, Nossi-Bé et Comore, publié à partir de 1937 à Strasbourg (avec aussi une édition en allemand), sans doute destiné aux catholiques alsaciens donateurs de cette œuvre missionnaire. Pour chercher des articles sur Mayotte, le rattachement de Mayotte à Madagascar de 1908 à 1946 incite à se tourner par exemple vers le Journal officiel de Madagascar et dépendances , La Tribune de Madagascar et dépendances , La Dépêche malgache et autres titres de la presse malgache , presse qui existe dans la capitale Tananarive depuis 1866, et au nord (plus proche de Mayotte) à Diego-Suarez (Antsiranana ) depuis 1890. Ce sont des protestants de la Société missionnaire de Londres qui ont importé l'imprimerie à Madagascar : un livre de chants religieux et un manuel de lecture sont imprimés à Tananarive dès 1827, non pas en anglais mais en malgache. À Mayotte, la première imprimerie (Imprimerie mahoraise) est créée un siècle et demi plus tard, à Dzaoudzi vers 1980, par le pharmacien français Michel Pinchon , venu de la Grande Comore après la déclaration d'indépendance des Comores du 6 juillet 1975 . Il y imprime d'abord des cartes postales, puis fonde le 2 décembre 1983 le premier journal de l'île , l'hebdomadaire Le Journal de Mayotte , en français (et pas en langues de Mayotte).

Pour en savoir plus :

« L'histoire des journaux et bulletins officiels relatifs à Mayotte depuis 1841 », in Mahabari : bulletin des Archives départementales, Département de Mayotte, n° 17 (janv. 2018), ISSN 1955-6470, p. 2-3.

https://cd976.fr/ressources/publications/mahabari_012018#page=2

COSKER, Christophe. L'invention de Mayotte : anthologie des discours maritime, colonial et postcolonial. Pamandzi : La Route des Indes, 2019. 175 p. ISBN 978-2-491215-09-5.

https://fr.calameo.com/read/0030872174b31c2d3ca03