La presse du Nord : pour un aperçu historique

Avec plus de 1 700 journaux publiés avant 1944, la presse locale de ce département a été l'une des plus développées de France. Densité de population, urbanisation exceptionnelle et scolarisation sérieuse favorisent l'essor de la presse dans les provinces de Flandres, Hainaut et Cambrésis au XVIII^e siècle. À Lille, André-Joseph Panckoucke fonde la revue savante L'Abeille flamande (1746), son fils Charles-Joseph Panckoucke lance les Annonces, affiches et avis divers pour les Pays-Bas français (1761-1763), et Joseph Pâris dit Chevalier de Lespinard crée en 1781 une Feuille d'affiches... pour la province de Flandres devenue Feuilles de Flandres puis Gazette du département du Nord (1790-1793) ; à Valenciennes paraît le Journal du Hainaut et du Cambrésis (1788-1789). Sous la Révolution les journaux se multiplient, dont un destiné à l'armée, originalité de cette région frontière : L'Ami Jacques.

Pendant le Premier Empire, seule subsiste la Feuille de Lille devenue sous l'autorité du préfet le Journal du département du Nord... Dès la Restauration la presse revit, avec en 1819 le libéral Écho du Nord fondé à Lille par Vincent Leleux , et d'autres journaux à Valenciennes, Cambrai, Douai, Dunkerque, Avesnes, Hazebrouck et Roubaix. Sous Louis-Philippe (1830-1848), L'Écho du Nord (opposition) tire à 6 000 exemplaires, Le Messager du Nord (démocrate et ouvrier) à 4 000, la Gazette de Flandre et d'Artois (légitimiste et cléricale) à 4 000 aussi, et le Journal de Lille, seul organe gouvernemental, à 1 500 exemplaires seulement pour une population de 1 132 000 habitants en 1846. En 1848, le « printemps des peuples » suscite la création de nouveaux journaux comme la satirique Abeille lilloise.

Sous l'autoritaire Second Empire, les journaux se font plus prudents et ont tendance à délaisser la politique pour s'intéresser plus à la science, à l'histoire, à la littérature ou au théâtre. La presse est étroitement surveillée, et ses responsables parfois condamnés à des peines de prison, comme par exemple en 1866 le gérant de L'Écho populaire de Lille. Les journaux dévoués à l'Empereur sont au contraire favorisés par l'attribution du monopole des lucratives annonces judiciaires et légales de l'arrondissement (Mémorial de Lille et du Nord de la France, L'Observateur... d'Avesnes, Gazette de Cambrai, L'Indicateur de l'arrondissement d'Hazebrouck...). L'industrialisation provoque un déplacement des ruraux dans des conditions précaires ; ces déracinés ne sont plus scolarisés et le niveau d'alphabétisation baisse. Le Propagateur du Nord et du Pas-de-Calais (1860-1883) cherche à christianiser les ouvriers ; quoique étant « le mieux rédigé pourtant des journaux du Nord » selon son adversaire L'Abeille lilloise (1866-1868), il n'est « pas en vogue dans les classes populaires ». Deux grands journaux d'opposition dominent : L'Écho du Nord (1819-1940), de ton anticlérical à la manière du parisien Le Siècle, et Le Progrès du Nord (1866-1965) rédigé par Gustave Masure et Géry Legrand , « journal social », largement diffusé dans les cabarets ouvriers, particulièrement à Saint-Sauveur et à Wazemmes.

Le département du Nord, ayant hérité de son ancienne appartenance aux Pays-Bas méridionaux une tradition d'autonomie des juridictions municipales, comporte un grand nombre de villes moyennes attachées à leurs particularismes, et sa presse locale est une des plus décentralisées du pays, avec de très nombreux journaux publiés à Dunkerque, Roubaix, Douai, Valenciennes, Cambrai, Avesnes, etc. La présence d'exilés français à Bruxelles, la proximité et la facilité de franchissement de la frontière belge favorisent la diffusion dans le département de journaux jugés séditieux : La Gazette de Mons (1840-1911), Le Constitutionnel : journal de Mons et du Hainaut (1852-1864), Le Courrier de l'Escaut (Tournai, 1829-2010), le Journal de Bruxelles (1841-1926), L'Indépendance belge (Bruxelles, 1831-1940), L'Émancipation (Bruxelles, 1830-1864), Le Bien public (Gand, 1853-1940), et surtout La Lanterne (1868-1876) du Français Henri Rochefort .

Dans les années 1880 la presse du Nord bénéficie de nombreuses innovations : l'agence Havas lui transmet rapidement les informations nationales, l'impôt sur le papier journal est supprimé (1887), le format des journaux augmente et leur prix baisse, on crée des suppléments illustrés, et aussi des journaux en ch'ti, souvent humoristiques. L'élément le plus important est La Croix du Nord fondée en 1889, et d'autres journaux catholiques qui témoignent de la vivacité dans le Nord du courant démocrate chrétien. La presse socialiste, apparue en France en 1877 (L'Égalité de Jules Guesde , publiée à Paris), naît dans le Nord en 1882 avec Le Forçat (aux nombreux titres successifs dus à de fréquentes condamnations), et s'illustre par un quotidien, Le Réveil du Nord (1889-1944), et un bihebdomadaire, Le Travailleur (1886-1914). On trouve aussi de nombreux journaux monarchistes (22 en 1886), par exemple La Défense (1882-1887) à Avesnes, La Sambre (1874-1914) à Maubeuge, La Gazette d'Armentières (1884-1914)... et des quotidiens monarchistes comme La Vraie France (1873-1906, légitimiste) et La Dépêche (1882-1940, orléaniste).

Durant la Première Guerre mondiale, le département du Nord est durement et longuement occupé par la 6^e armée allemande qui installe à Lille son commandement et sa base arrière, alors que la Belgique est devenue un Gouvernorat général allemand . Les journaux du Nord se sabordent le 10 octobre 1914 ; ne paraissent plus que des journaux contrôlés par les Allemands : Bulletin de Lille, Le Bruxellois , Gazette des Ardennes... et une gazette militaire : Liller Kriegszeitung. Une feuille patriotique clandestine, L'Oiseau de France, est imprimée à Roubaix, mais en octobre 1916 ses rédacteurs, l'abbé Pinte, le professeur Joseph Willot et l'industriel Dispa, sont arrêtés . À la libération du Nord en octobre 1918, les grands quotidiens reparaissent : La Croix du Nord (catholique), L'Écho du Nord (droite républicaine modérée), Le Réveil du Nord (socialiste modéré), et un nouveau apparaît : Le Cri du Nord & des régions libérées (socialiste). Les industriels Paul Frémaux et Lucien Bauchart créent en 1919 l'hebdomadaire Nord industriel, où le Roubaisien Maurice Olivier analysera la crise économique de 1929 du point de vue patronal. Pendant la Seconde Guerre mondiale, une vingtaine de journaux seulement continuent à paraître sous le contrôle de l'occupant allemand, et une presse clandestine se constitue dès octobre 1940 : L'Homme libre fondé par Jean-Baptiste Lebas et Augustin Laurent , puis en avril 1941 La Voix du Nord , organe de la Résistance, à qui seront attribués à la Libération, en septembre 1944, les locaux de L'Écho du Nord.

Pour une introduction plus complète à l'histoire de la presse du département du Nord, voir la préface de Louis Trenard dans le volume 59 de la Bibliographie de la presse française politique et d'information générale , par Patrice Caillot, Françoise Finelli, Françoise Quinton et Louis Trenard (1976).