La presse de la Corse : pour un aperçu historique

En 1755 la Corse se proclame indépendante de la République de Gênes, et se dote d'une constitution démocratique rédigée par Pascal Paoli. Le premier journal corse, Ragguagli dell'isola di Corsica, est publié « par un Lucquois, homme de quelque capacité pour ces objets » , à Corte de 1760 à 1769. Réunie au royaume de France en 1768, puis à la République française, l'île devient un département le 4 mars 1790, et dès le 3 avril on publie à Bastia le Giornale patriottico di Corsica .

La scission de la Corse en deux départements est longuement débattue, puis réalisée le 1^er juillet 1793 : Golo (actuelle Haute-Corse) et Liamone (actuelle Corse-du-Sud). En 1794 l'île se proclame à nouveau indépendante et se place sous la protection de George III d'Angleterre ; ce royaume anglo-corse est gouverné par l'Écossais Gilbert Elliot . Mais en 1796 la Corse retourne à la France et au régime républicain, et élit député Lucien Bonaparte (frère de Napoléon). En 1811 les départements de Golo et Liamone redeviennent un unique département de Corse. Le Journal de la Corse, qui paraît à Ajaccio depuis 1817, est le plus ancien journal d'information générale en France qui soit encore publié de nos jours .

Avec la révolution de 1848, apparaissent des journaux libéraux : L'Ère nouvelle, Le Progressif de la Corse . Ils cessent de paraître dès 1852. Sous Napoléon III, des membres de la famille Bonaparte et des chefs politiques corses obtiennent des postes de haut rang dans le gouvernement et l'administration ; les deux hebdomadaires, le Journal de la Corse à Ajaccio et L'Observateur de la Corse à Bastia, assurent pendant de longues années le rôle d'organes gouvernementaux. En 1868 voient le jour plusieurs petits journaux satiriques : Le Vautour chinois, Petites choses bastiaises, La Trique. L'année suivante, l'opinion se retourne : L'Aigle corse se nomme désormais Le Phare de la Corse, et deux organes républicains sont créés : Le Golo et La Revanche. Une violente attaque anti-bonapartiste parue dans La Revanche pousse le prince Pierre Bonaparte (fils de Lucien), à publier une réponse virulente dans L'Avenir de la Corse (publié à Sceaux). Lors d'une altercation confuse, le journaliste républicain Victor Noir (ami du Corse Paschal Grousset , correspondant parisien de La Revanche ) est tué au revolver par Pierre Bonaparte à Paris le 10 janvier 1870 ; ce fait divers a un fort retentissement politique.

Après la défaite de Sedan, le Journal de la Corse d'Ajaccio devient républicain, alors qu'à Bastia, L'Observateur de la Corse et La Corse sont impérialistes. En 1881 naît à Bastia le quotidien Le Petit Bastiais (qui a paru jusqu'en 1972). La mort de Napoléon III en Angleterre le 9 janvier 1873 entraîne la division des impérialistes. Eugène Rouher tente de les rassembler en créant un groupe parlementaire nommé L'Appel au peuple. Louis Rouher (neveu d'Eugène) se présente à Ajaccio aux élections législatives de 1898. Mais il est battu par Emmanuel Arène , républicain (soutenu par le gouvernemental Journal de la Corse ), qui fera figure de dictateur politique dans l'île pendant dix ans, distribuant faveurs et emplois.

La politique n'est pas le seul sujet traité dans la presse corse. De nombreux articles voire des journaux entiers sont consacrés au développement de l'agriculture (Annales agricoles de la Corse, La Corse agricole, Le Ver à soie...), à l'industrie et aux transports (La Corse industrielle, L'Exploitation des chemins de fer insulaires...) ou au tourisme (Gazette ajaccienne : journal de la colonie étrangère, Journal des étrangers d'Ajaccio et du tourisme en Corse...). Il y a aussi une presse catholique : Revue ecclésiastique de la Corse, Le Conservateur de la Corse, Le Messager corse, Croix de la Corse, Le Sillon de la Corse, La Corse catholique... En dehors des deux concentrations urbaines que sont Ajaccio et Bastia, des journaux à diffusion plus restreinte existent dans les arrondissements de Corte, Sartène et Calvi. Et des journaux sont créés pour les originaires de Corse à Marseille, Paris, Alger ou Saïgon.

Au début du XX^e siècle, la Corse devient soudain une préoccupation gouvernementale : la presse dénonce son état d'abandon économique et de régression sociale. Le plan de relèvement économique de l'île, suspendu en 1914, revient à l'ordre du jour après la Première Guerre mondiale, mais l'impatience et l'aigreur ont grandi, comme en témoignent Le Cri de la Corse, Sartène enchaîné, L'Émancipation de la Corse... Des journaux d'anciens combattants se créent, mais aussi des journaux régionalistes. Apparue en 1896 avec A Tramuntana, la presse en langue corse prend son essor dans les années 1920 à 1940. Pendant la Seconde Guerre mondiale et la courte occupation italienne, la presse de Corse garde un ton modéré et se borne à appliquer les consignes de censure. À la libération de l'île le 9 septembre 1943, la confiscation des imprimeries locales entraîne l'apparition d'éphémères organes de circonstance. La presse de Corse renaît ensuite, mais sa diffusion est désormais restreinte par la concurrence que lui font les grands organes régionaux de Provence.

Pour une introduction plus complète à l'histoire de la presse de Corse, voir la préface de Hyacinthe Yvia-Croce dans le volume 20 de la Bibliographie de la presse française politique et d'information générale , par Françoise Poggioli (1971).