La presse de la Manche : pour un aperçu historique

L'Assemblée constituante a donné en 1790 au département de la Manche une forme particulièrement allongée ; elle a désigné comme chef-lieu Saint-Lô, ville située au centre de cet ensemble, mais d'importance mineure. Cherbourg, ville la plus peuplée, ne pouvait pas parler au nom de tout le département, à cause de sa situation isolée et de ses fortes particularités. C'est pourquoi chacun des quatre arrondissements du département de la Manche a développé ses propres organes de presse : arrondissement de Cherbourg, arrondissement d’Avranches, chef-lieu de Saint-Lô, et arrondissement de Coutances. Plus de 330 journaux ont existé dans la Manche avant 1944, mais presque aucun n'était vraiment départemental, c'est-à-dire lu dans tout le département : leur diffusion était le plus souvent restreinte à quelques localités.

C'est à Coutances le 15 juin 1790 que Gilles Joubert publie le premier journal du département de la Manche : Argus... Deux ans après paraissent à Cherbourg Les Entretiens patriotiques : dédiés aux habitants des campagnes. En 1793 l'armée des Côtes de Cherbourg se félicite dans son Journal... de la victoire contre les Chouans au siège de Granville . C'est seulement après la Révolution qu'un journal est publié au chef-lieu, Saint-Lô : Journal du département de la Manche (1808-1817), sorte de journal officiel sous le contrôle du préfet.

Le Code civil de 1804 obligeant notaires et huissiers à publier dans des journaux locaux les ventes immobilières, hypothèques, saisies, etc., ces annonces légales assurent des rentrées d'argent régulières aux journaux habilités à les publier. Les autres journaux n'ont comme ressource principale que leurs abonnements, mais sont plus libres d'exprimer des opinions politiques. On voit ainsi naître successivement dans la presse de la Manche les tendances politiques suivantes : 1848, démocrate ou républicaine ; 1875, conservatrice ou nationaliste ; 1888, radicale ; 1894, socialiste. Les querelles politico-religieuses sont particulièrement vives entre la tendance anticléricale et la presse catholique basée à Coutances, dont subsiste surtout le souvenir de deux pamphlétaires : Achille Anger-Billards (ami de Jules Barbey d'Aurevilly ) et Ludovic Mustel , directeur de la Revue catholique de Coutances et Avranches.

À côté des feuilles d'annonces et de la presse politique, il existe une presse locale spécialisée. La presse professionnelle agricole apparaît en 1887 avec le Bulletin du Syndicat des agriculteurs du département de la Manche publié à Avranches puis Coutances. Le mouvement syndical dispose d'organes locaux à partir de 1910 avec Le Travailleur socialiste et syndicaliste publié à Cherbourg. Quelques journaux sont consacrés aux spectacles et à la culture, comme par exemple Cherbourg-Revue ou le Bulletin de la Société artistique et industrielle de Cherbourg . Une presse touristique et balnéaire se développe à partir de 1883 à Granville, 1894 à Agon-Coutainville et 1909 à Saint-Pair ; elle adopte souvent un ton humoristique.

Pendant la Première Guerre mondiale, un aumônier militaire belge publie à Port-Bail un petit bulletin en néerlandais, Turnhout en omstreken, pour les soldats flamands stationnés en Normandie. Dans les années 1920 naissent des journaux locaux consacrés aux anciens combattants. Sous l'Occupation allemande, vingt journaux continuent de paraître. Aucun d'eux ne subsistera au-delà des premiers jours de juin 1944.

Des parachutistes américains libèrent la bourgade de Sainte-Mère-Église (arrondissement de Cherbourg) le 6 juin 1944, tandis que des troupes alliées débarquent au même moment avec succès sur les plages voisines de Saint-Martin-de-Varreville (Utah Beach). Les contre-attaques allemandes à Cherbourg et à Mortain contribuent à augmenter les pertes et destructions subies dans ce département. Les archives départementales de Saint-Lô sont entièrement détruites (seule la bibliothèque de Cherbourg conserve aujourd'hui des collections de périodiques anciens à peu près complètes). Après la Libération, le caractère local de la presse de la Manche se perpétue : le quotidien rennais Ouest-France publie plusieurs éditions locales pour la Manche, et l'hebdomadaire La Manche libre , créé en 1944, paraît en cinq éditions.

Pour une introduction plus complète à l'histoire de la presse de la Manche, voir la préface d'Yves Nédélec dans le volume 50 de la Bibliographie de la presse française politique et d'information générale , par Françoise Poggioli (1970).