La presse de La Réunion : pour un aperçu historique

À la suite de l'alliance franco-hollandaise de 1624 (contre l'Espagne), le cardinal de Richelieu relance l'activité des Français en direction de l'Asie. Jean-Baptiste Colbert crée la Compagnie des Indes orientales (1664-1795) qui réussit à implanter, sur une île volcanique inhabitée de 2 500 km² dans l'océan Indien, appelée île Mascareigne puis à partir de 1649 île Bourbon (possession française depuis 1638), d'abord une escale, puis à partir de 1710 une véritable colonie, où Mahé de La Bourdonnais (gouverneur de 1735 à 1746) introduit la culture du café. En 1764, sur les conseils du duc de Choiseul , Louis XV rachète l'ensemble des îles Mascareignes (aujourd'hui La Réunion, île Maurice et Rodrigues) à la Compagnie des Indes. Honoré de Crémont (ordonnateur de 1764 à 1784) aménage des villes (assainissement, routes), et Pierre Poivre (intendant de 1767 à 1772) développe la culture du girofle et de la muscade notamment. Le commerce n'est pas libre mais « exclusif » : l'île ne peut commercer (vendre et acheter) qu'avec la France. L'île est vue comme un nouveau débouché à l'exportation pour les produits métropolitains, c'est pourquoi toute création de manufacture y est interdite. La nécessaire main-d'œuvre agricole, souhaitée par les planteurs la moins chère et la plus soumise possible, sera constituée presque exclusivement d'esclaves , provenant de Madagascar , d'Afrique ou de l'Inde .

En 1793 la Révolution française renomme l'île Bourbon « île de La Réunion », et le 4 février 1794 est votée l'abolition de l'esclavage dans toutes les colonies françaises. Le premier journal de La Réunion est Le Vrai républicain..., décadaire publié à Saint-Denis de septembre 1794 à 1795 par Louis Delsuc, ancien prêtre, directeur du collège. La Constitution du 5 fructidor an III (22 août 1795) est censée s'appliquer aussi dans les colonies françaises, qui sont alors divisées en départements (comme l'a été la métropole en 1790). Loyaux envers la France tant que la piraterie contre les Anglais leur est profitable, les blancs de l'île de La Réunion changent de point de vue après la libération des esclaves, qu'ils n'acceptent pas et qui les amène à réclamer l'indépendance et même la protection de la Grande-Bretagne (le gouverneur Malartic parvient à rétablir l'autorité française). En réalité, l'esclavage n'a pas été supprimé, et la loi du 30 floréal an X (20 mai 1802) le rétablit officiellement (voir le rapport d'Adet , sa suite et sa discussion ). En 1804, avec l'aide de Louis Delsuc, Étienne Boyer crée deux hebdomadaires : Gazette de l'Isle de La Réunion et Petites affiches de l'Isle de La Réunion, titres qui deviennent ... de l'Isle Bonaparte de 1806 à 1810 quand l'île est renommée île Bonaparte.

La défaite française à la bataille de Trafalgar le 21 octobre 1805 empêche la France, dont la flotte est détruite, de soutenir ses colonies. En 1810, l'Anglais Minto prend possession de l'île Bonaparte et nomme gouverneur Farquhar ; le 21 juillet 1810 paraît en anglais à Saint-Denis l'hebdomadaire Isle of Bourbon government gazette (au printemps 1811, ce journal où les textes en français sont devenus plus nombreux, écrit désormais son titre en français : Gazette de l'Isle Bourbon ). Une grave insurrection d'esclaves a lieu à Saint-Leu en novembre 1811. Après l'abdication de Napoléon (6 avril 1814), les négociations de Talleyrand aboutissent au traité de Paris du 30 mai 1814 [TRA18140003/300, article huitième] : la France récupère ses colonies et comptoirs tels qu'ils étaient en janvier 1792, sauf quelques îles que l'Angleterre conserve, dont l'Île de France (Maurice) et sa précieuse base navale de Port-Louis . Des trois Mascareignes, la France ne garde que l'île Bourbon (La Réunion) dont ni Saint-Paul, ancienne capitale (jusqu'en 1738) et Saint-Pierre, situés tous deux sur la Côte-sous-le-vent (sèche), ni Saint-Denis, le centre commercial le plus actif, bâti sur la Côte-au-vent (arrosée), n'offrent de base pour une flotte de guerre. En 1814 cette île est peuplée de 45 000 habitants : 37 000 noirs et 8 000 blancs. La traite des esclaves est interdite en 1817 , mais elle aurait continué de façon clandestine jusqu'au décret d'abolition de l'esclavage du 27 avril 1848 , que le gouverneur Sarda Garriga rend applicable à La Réunion le 20 décembre 1848. L'engagement de travailleurs libres, système remplaçant la traite à partir de 1817, amène à La Réunion de nombreux Indiens de langue tamoule et télougou . L'engagisme remplace les esclaves par des « engagés » mais reste longtemps marqué, comme l'esclavagisme, par la contrainte et la soumission. Théoriquement garantie par la Charte de 1830 , la liberté de la presse n'est pas promulguée à La Réunion, où la censure continue de s'appliquer.

Pierre-Marie Lahuppe rachète en 1825 la Gazette de l'isle Bourbon (qui deviendra en 1835 L'Indicateur colonial ) et en 1826 la Feuille hebdomadaire... ; c'est le début d'un quasi-monopole de la famille Lahuppe sur la presse réunionnaise jusqu'en 1902 (Le Ralliement ), grâce au privilège lucratif d'insertion des annonces légales et judiciaires, concédé par le gouvernement local en contrepartie de la publication gratuite des actes officiels. Les journaux de Lahuppe sont plutôt opposés à l'esclavage, conformément au point de vue officiel métropolitain ; à Saint-Paul Le Glaneur (1832-1839) se veut neutre, mais son successeur Le Créole (1839-1843), par Eugène Dayot , est abolitionniste. D'autres journaux sont autorisés à défendre les intérêts des propriétaires d'esclaves : Le Conservateur (1837-1843) qui porte en devise : « Toutes les propriétés sont inviolables », le Courrier de Saint-Paul (1843-1848) et le Journal du commerce de l'île Bourbon [puis de l'île de La Réunion ] (1846-1883) qui deviendra, après l'abolition de l'esclavage en 1848, l'organe du Parti colonial. Ce qui est censuré par l'administration, ce n'est pas le débat pour ou contre l'esclavage, mais ce sont principalement deux revendications politiques : une assemblée locale élue, et la liberté de la presse. C'est ce que réclame l'avocat et journaliste réunionnais Nicole Robinet de la Serve , rédacteur au Constitutionnel à Paris, qui fonde en 1831 l'association secrète de Francs-Créoles et crée une presse clandestine à La Réunion avec Le Furet (1832) puis Le Salazien (1833). Paraîtront aussi clandestinement : Le Cri public (1847-1848) et Le Cri d'alarme (1868), que l'on jetait la nuit dans les jardins des habitations de Saint-Denis pour que la population le trouve au matin.

Lors de la révolution européenne de 1848 apparaît à La Réunion une presse satirique : La Lanterne magique de Victor Grenier et La Caricature de Dureau, dans une veine humoristique qui renaît à l'occasion de la révolte parisienne de 1871 : L'Enfant terrible (1871-1872) puis Les Moustiques (1874-1878) par Victor Grenier, La Caricature (1872) par Alfred Gazet, Le Volcan (1885-1886) par G. Lamadon. Le premier hebdomadaire illustré réunionnais est La Semaine (1861-1862). Le droit d'élire les conseillers municipaux et généraux est donné à La Réunion par le décret du 3 décembre 1870 , mais les réunions publiques y sont interdites, même en période électorale. C'est ce que déplore Le Travail, dont le rédacteur Victor Trollé (médecin initiateur du thermalisme à Cilaos ), voyant se développer la fraude et les manipulations électorales, rappelle que « vendre son vote ou l'échanger contre un avantage quelconque est une indignité ». L'abstention des électeurs est très importante dans tous les milieux sociaux, y compris les plus favorisés, comme le sont les lecteurs des journaux anti-républicains La Malle (1860-1886) puis La Vérité (1887-1891). À partir de 1887, sous l'influence de M^gr Fuzet , la majorité des catholiques réunionnais se rallie à la République, et la plupart des journaux s'affichent républicains.

Face à la concurrence du café brésilien, l'agriculture réunionnaise qui était au départ basée sur le café se réoriente au cours du XIX^e siècle vers la canne à sucre (malgré la concurrence du sucre de betterave), ce qui augmente encore les besoins en main-d'œuvre. Les revendications sociales s'expriment dans les journaux démocrates ou voulant défendre les intérêts du peuple : La Justice de Saint-Pierre (1888-1889), Le Peuple (1908-1958), La Bataille sociale (1915-1916), La Victoire sociale (1916-1935), La Démocratie (1933-1970) fondé par Raphaël Babet , Le Rempart (1936)... Le premier quotidien et premier journal à bon marché est Le Créole de l'île de La Réunion (1882-1894) fondé par Élisée Pélagaud, et il y aura beaucoup d'autres quotidiens. Henri de Busschère dirige plusieurs journaux réunionnais de 1901 à 1937 et devient conseiller général. En 1922, le député de la Guadeloupe René Boisneuf interpelle à la Chambre le député de La Réunion et défenseur des planteurs [Charles-] Lucien Gasparin , qui s'est fait attribuer illégalement des plantations naguère allemandes au Togo. Cette affaire n'empêchera pas Gasparin d'être réélu député en 1924, contrairement à Boisneuf. En 1938-1940 paraît à La Réunion un journal syndicaliste : Libération puis Le Travail. À partir du 22 juillet 1940, toutes les lois du gouvernement de Vichy sont appliquées scrupuleusement dans l'île dirigée par le gouverneur Pierre Aubert . La censure est alors maximale, très peu de journaux sont autorisés à paraître à La Réunion : Servir et Chantecler. Le blocus anglais augmente les difficultés matérielles de façon dramatique. Les Forces navales françaises libres prennent le pouvoir à La Réunion le 30 novembre 1942. Le premier journal à paraître ensuite est Le Feuillet (21 mai 1943-30 mai 1944) fondé par Paul Garros, ancien directeur du Réunionnais (1937-1940), alors âgé de 76 ans ; ce journal porte en devise : « France libre, combattante, résistante ».

Pour en savoir plus :

CAUDRON, Olivier. Catalogue des périodiques réunionnais de 1794 à 1900 : précédé d'un aperçu historique sur la presse réunionnaise au XIX^e siècle. [Saint-Denis] : Université de La Réunion, Bibliothèque universitaire : Unité de recherche associée 04 1041 du CNRS, 1990. 87 p. ISBN 2-905607-15-7.

CAUDRON, Olivier. « Les Mascareignes », in FEYEL, Gilles (dir.). La presse départementale en révolution, 1789-1799 : bibliographie historique et critique. Tome I, [Oise, Aisne, Marne, Haute-Marne, Lorraine, Alsace, Midi toulousain, Hérault, Aude, Pyrénées-Orientales, Les Mascareignes]. La Garenne-Colombes : Éd. de l'Espace européen, 1992. 406 p. ISBN 2-7388-0173-0, p. 381-391.

TÉCHER, Karine et SERVIABLE, Mario. Histoire de la presse à La Réunion. Sainte-Clotilde : Éd. ARS Terres créoles, 1991. 121 p. ISBN 2-908578-16-6.

[CHATARD, Serge]. Histoire et événements de La Réunion année par année : www.mi-aime-a-ou.com/histoire_annee_par_annee.php

et Histoire de la presse de l'île de La Réunion : www.mi-aime-a-ou.com/histoire_presse.php